INVITATION A PENSER LE MOMENT ET SON ARTICULATION AUX AUTRES
Les effets d’un changement subi...
Le confinement : Gilet de secours, camisole ? Sidération, réflexion nouvelle ?Qu’émerge t’il d’un espace contraint ?
Nous sommes confrontés à une épreuve humaine collective et personnelle grave et inédite en ces temps dits « modernes »… Comme s’il n’y avait plus de vie de secours…
Pourtant, au cours des dernières semaines, les changements liés à la situation de confinement ont pu apporter un plus grand niveau de complexité dans nos réflexions ; quelques fois ils ont même permis à des difficultés de s’apaiser de manière inattendues.
Certains patients ont fait évoluer leur manière de voir le monde, leur enfant, leur conjoint(e), parfois de manière brutale et complexe à gérer, parfois de manière bienveillante, parfois simplement de manière à changer, modifier ce qui tenait jusqu’ici sans satisfaction.
Ainsi, alors que chacun tente au mieux de vivre ce confinement, comment ne plus uniquement subir, mais donner à chacun les moyens d’agir ?
Comment retrouver dans le contexte actuel un peu de pouvoir sur sa propre existence, rythmée par des obligations dont nous n’avons plus véritablement la maîtrise ?
Le vide laissé par les activités gelées, le temps passé à d’autres occupations peut-il « dé-confiner les esprits » , laisser place à une forme de réflexion sur ce que nous faisons de ce temps ?
Peut on y voir l’émergence d’un gilet de secours ?
Le Kairos est ce « moment opportun », qui décrit chez les Grecs ce temps du « basculement décisif », de l'opportunité. Il est décrit comme une dimension différente du temps, qui crée de la profondeur dans l'instant ; une porte sur une autre perception de l'événement et de soi.
Une notion du temps qui n’est pas mesurée par la montre - moins utile en ce moment - mais par le ressenti, les sensations, les émotions.
Ce ressenti, dans cette période de confinement, semble inédit, fluctuant, les rêves ou cauchemars nous envahissent, souvent plus présents, plus intenses.
Le dieu grec Kairos est représenté par un jeune homme avec une touffe de cheveux sur la tête. Quand il passe près de nous, trois possibilité s’offrent à nous : celle de ne pas le voir ; celle de le voir et ne rien faire ; et celle de « saisir l'occasion aux cheveux » !
Alors même que nous nous confrontons depuis plusieurs semaines à des contraintes nouvelles, nous nous questionnons aussi sur ce que nous subissions dans notre quotidien qui nous épuisait. Pas ce quotidien de confinement, mais celui que nous pensions avoir choisi, et que nous subissons également. Peut on transformer cette expérience de renoncement subi en futur renoncement choisi ?
Le concept de sérendipité pourrait également nous éclairer : il s’agit de la conjonction d’un hasard heureux qui permet au chercheur de faire une découverte inattendue, d'importance ou d'intérêt supérieurs à l'objet de sa recherche initiale, mais aussi de l'aptitude de ce chercheur à saisir et à exploiter cette « chance ». « C’est quand on ne cherche pas qu’on trouve ».
Le « sérendipiteur » est donc la personne qui sait « à un certain moment tirer profit de circonstances imprévues », et surtout ne se laisse pas dominer par le hasard !
Nous sommes tous des chercheurs. Et nous voyons que de nombreuses réflexions émergent, quand à la suite, l’après.
Stopper le système tel qu’il s’alimente aujourd’hui et goûter à l’entraide et la solidarité donne un gout du risque.
Cependant, nous savons à quel point il est difficile pour l’être humain de sortir de ses privilèges, renoncer à ses acquis et projections futures. Et pourtant, qui pensait devoir renoncer à cet acquis, celui de pouvoir sortir de chez soi et errer en liberté ?
Ce moment est il un gilet de secours qu’on aperçoit parce que l’avion s’écrase ? Comment faire pour tout ceux qui n’en ont pas ?
Les associations, comme nombre de professionnels ne cessent depuis des années d’alerter sur les inégalités et difficultés que vivent une partie de la population, tout en essayant d’offrir l’accès aux mêmes soins pour tous.
Dans quel bain va t’on plonger ? Plus froid, plus chaud, dangereux, sans fond ? Peut être tout aussi glacial mais plus limpide, ou bien plus habité ?
Les inégalité là aussi s’affichent : Remaniement des projets de vie, ou survie ?
Marguerite Duras disait, en 1969 : « Si l’homme ne change pas dans sa solitude, rien n’est possible ».
Chloé Boischot, psychologue Unité de psychothérapie
Publié le 25 avril 2020